Namibie – 1904-1908

Nombre de victimes : environ 74 000 morts

Qualification : Génocide reconnu, crime de guerre

Motif : race, couleur, origine ethnique

Les acteurs

Au 14e siècle, les Herero des Grands Lacs d’Afrique de l’Est s’installent en Namibie, dans le Sud-Ouest africain, le long du littoral de l’océan Atlantique. Avec les Nama, les San, les Damara et les Ovambo, ils représentent, dans les années 1840, une population de 200 000 habitants dispersés sur un territoire semi-désertique de 500 000 km2.

En 1883, Adolf Lüderitz, un commerçant de Brême, en Allemagne, achète des terres aux Herero. D’autres négociants, des colons et des missionnaires allemands l’imitent et, progressivement, en viennent à occuper toutes les côtes de ce territoire africain non encore revendiqué par une puissance européenne. L’année suivante, de fantastiques gisements de diamantssont découverts dans le Hereroland et le chancelier allemand Bismarck place la Namibie, rebaptisée Deutsch-Südwest Afrika, « sous la protection du Reich ».

Les causes

En 1903, la Namibie compte 3 700 colons et fonctionnaires allemands qui cherchent sans cesse à obtenir plus de territoires. Les autorités coloniales ne tardent pas à mettre en place une politique agressive d’expropriation et de confiscation des terres et des biens des Herero, souvent accompagnée d’actes de violence. Désormais privés de tous leurs moyens de subsistance, sans défense face à un pouvoir arbitraire et à une justice expéditive, les Herero n’ont plus d’autres choix que la révolte.

En janvier 1904, sous les ordres de leur chef, Samuel Maherero, des guerriers herero attaquent des avant-postes allemands et des fermes. Ils massacrent 123 marchands, colons et soldats, épargnant missionnaires, femmes et enfants. Ce soulèvement mal organisé fournit aux Allemands un prétexte pour se débarrasser d’une population qu’ils méprisent et qui, surtout, les gêne. Cette crise coloniale éclate au moment où l’idéologie « racialiste » (Volkisch) bat son plein en Allemagne.

Les crimes

L’empereur allemand Guillaume II désigne le général Lothar von Trotha pour mâter la rébellion en Namibie. Le 11 août 1904, un corps expéditionnaire de 10 000 hommes livre bataille sur le plateau de Waterberg (Hamakari, pour les Herero). Bilan : 5 000 à 6 000 guerriers herero sont tués, et avec eux, 20 000 à 30 000 civils, femmes et enfants compris. Le 2 octobre suivant, Von Trotha promulgue un ultimatum de reddition :

« Moi, le général des troupes allemandes, adresse cette lettre au peuple herero. Les Herero ne sont plus dorénavant des sujets allemands. Ils ont tué, volé, coupé des nez, des oreilles, et d’autres parties de soldats blessés et maintenant, du fait de leur lâcheté, ils ne se battent plus. […] Je dis au peuple : quiconque nous livre un Herero recevra 1 000 marks. Celui qui me livrera Samuel Maherero (le chef de la révolte) recevra 5 000 marks. Tous les Herero doivent quitter le pays. »

Le gouverneur Von Leutwein tente en vain d’intercéder en faveur des Herero : « Nous avons besoin des Herero comme vachers, certes en nombre réduit et comme agriculteurs. Il serait plus que suffisant de les anéantir politiquement. » Soutenu par l’empereur Guillaume II qui limoge Von Leutwein, Von Trotha refuse tout compromis : « La nation Herero devait être soit exterminée ou, dans l’hypothèse d’une impossibilité militaire, expulsée de notre territoire. […] J’ai donné l’ordre d’exécuter les prisonniers, de renvoyer les femmes et les enfants dans le désert. »

Les Allemands empoisonnent les puits aux abords du désert d’Omaheke (actuel Kalahari), tout en repoussant les rescapés vers cette unique échappatoire qui se révèle fatal pour 30 000 d’entre eux. La chronique militaire officielle de l’époque rapporte que « le blocus impitoyable des zones désertiques, pendant des mois, paracheva l’œuvre d’élimination ». Tout au plus ont échappé à ce massacre une dizaine de milliers d’individus, réfugiés dans les colonies britanniques voisines, principalement le Botswana, ou dans la brousse namibienne.

À la fin de l’année 1904, le chancelier Von Bülow lève l’ordre d’extermination sous la pression de l’opinion publique, de l’opposition parlementaire et des missions chrétiennes. Les Herero, des femmes surtout, se rendent alors aux autorités qui les font prisonniers, les marquent des lettres GH (Gefangene Herero, « Herero capturé »), et décident de les regrouper dans ce que les Allemands appellent déjà des camps de concentration (konzentrationslager).

Épuisés, maltraités ou malades, près du tiers des prisonniers décèdent pendant les longues marches vers les camps de travaux forcés. Au cours de leur première année d’internement, la moitié des Herero survivants, soit 7 862 personnes, meurent sur le chantier d’une ligne de chemin de fer. Privations, mauvais traitements et maladies sont le lot de ce qui reste du peuple herero, à l’exception des « femmes de réconfort » pour les troupes coloniales.

En 1907, l’empereur met fin à l’état de guerre et, l’année suivante, les camps sont démantelés. Les Herero libérés ne sont pas pour autant autorisés à regagner leur territoire d’origine. Ils sont dispersés dans des fermes, avec au cou un disque de métal où figure leur numéro de matricule. En 1911, les autorités coloniales allemandes en recensent 15 130.

En sept ans de répression, environ 64 000 Herero ont disparu, soit près de 80 % de leur population. Le général Von Trotha a atteint son but : détruire la nation herero.

Mais ce n’est pas tout : ce génocide a fait d’autres victimes. Face aux menaces allemandes de faire subir à tous les Africains le sort des Herero, les Nama (appelés Hottentot par les Allemands) prennent également les armes en 1904 et mènent une guérilla au-delà de 1907. La moitié d’entre eux survivent, environ 10 000 personnes, mais se retrouvent déchus de leurs droits culturels et économiques.

Justice et mémoire

Au début de l’an 2000, des champs impressionnants de squelettes ont été révélés par les vents dans le désert namibien, près de Luderitz. Avant cette macabre découverte, rares étaient ceux qui connaissaient l’existence des Herero, peuple auquel a échu le peu enviable privilège de subir le premier génocide du 20e siècle.

On ne peut s’empêcher d’y voir une anticipation des crimes nazis de la Deuxième Guerre mondiale. En dépit d’une controverse sur la reconnaissance du génocide par la République fédérale d’Allemagne, la menace de Von Trotha d’« abattre tout Herero », femmes et enfants compris, sur le « territoire allemand » peut difficilement être qualifiée d’autre chose qu’un ordre génocidaire. Un génocide confirmé par l’organisation « rationnelle » du massacre, comme en témoignent les comptes rendus militaires allemands.

Certains descendants des Herero se sont établis au Botswana, mais d’autres sont restés dans leur patrie où ils ne constituent actuellement que 8 % de la population.

Au cours de sa visite en Namibie en 1998, le président allemand, Roman Herzog, a exprimé son sentiment de culpabilité. À la cérémonie du centième anniversaire du début du génocide, en 2004, l’Allemagne, par la voix deHeidemarie Wieczoreck-Zeul, ministre de la Coopération et du Développement,a présenté des excuses aux Herero : « Nous Allemands, acceptons notre responsabilité morale et historique, je vous demande de nous pardonner. » Le gouvernement allemand refuse toutefois aux Herero les réparations financièresqu’ils réclament. Aussi, en l’an 2000, les Herero ont-ils saisi la Cour pénale internationale et le Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, estimant avoir droit à deux milliards de dollars US d’indemnités. L’Allemagne s’y oppose en invoquant que les crimes coloniaux de l’époque impériale ne sont pas une « violation du droit international », puisque les lois postcoloniales sur la protection des rebelles et des civils n’étaient pas encore en vigueur lors du soulèvement des Herero en 1904.

Les Herero n’ont toujours pas récupéré les terres dont ils ont été spoliés. Principal bailleur de fonds de la Namibie, l’Allemagne n’envisage d’autres réparations que l’accroissement de son aide publique au développement de ce pays où vivent encore aujourd’hui 25 000 germanophones descendants des colons.

Depuis 1924, les Herero se rassemblent chaque année à Okahandja où, vêtus d’uniformes militaires de l’époque du génocide, ils commémorent la bataille d’Hamakari et honorent leur chef rebel, Samuel Maharero, mort en exil. Ils se rendent ensuite dans les cimetières allemands, pour inviter leurs anciens tortionnaires à guérir le passé par le dialogue et les réparations.